mercredi 26 février 2014

Lever les yeux

C'est souvent dans les mots d'un livre que je trouve une interprétation qui m'est destinée.
JBPontalis/Fenêtres 



mardi 25 février 2014

Son crâne se vidait dans le paysage

Un jour elle m'expliqua que le paysage, au bout d'un certain temps, soudain s'ouvrait, venait vers elle et c'est le lieu lui-même qui l'insérait en lui, la contenait d'un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner. Son crâne se vidait dans le paysage. Il fallait alors accrocher les mauvaises pensées aux aspérités des roches, aux ronces, aux branches des arbres et elles y étaient retenues. Une fois qu'elle était complètement vide le lieu s'étendait devant elle autant qu'il parvenait à s'étendre en elle. Les feuillages se développaient. Les papillons et les mouches et les abeilles commençaient à voleter sans peur. Un mulot avait surgi et s'était approché de ses genoux. Une chouette s'était posée sur une roche couverte de lichen jaune et ni l'un ni l'autre n'avaient ressenti de crainte ni de menace. C'était comme si elle n'était plus un être humain, comme si elle ne représentait plus, pour les autres êtres, le danger d'un être humain, ou d'un prédateur, ou d'un destructeur. Les odeurs s'avançaient jusqu'à elle, toutes reconnaissables, plus opulentes — de terre, de menthe, de noisetier, de fougère, de mousse.
Peu à peu les lumières s'éteignaient, les couleurs ternissaient, le silence grandissait, le crépuscule l'atteignait, l'ombre l'enveloppait, la nuit descendait, elle devenait tout cela en même temps que cela se produisait.
Et elle était la nuit.
Ses yeux se fermaient.


Pascal Quignard/Les solidarités mystérieuses/ Folio 5678-p.224

Art de la rue