dimanche 29 mars 2020

Le voyageur voit, le touriste toure

Le touriste déploie d'infinies ressources d'énergie et de ruse por éviter d'être pris pour un touriste. Au retour, en projetant ses diapositives à ses amis, il leur cache qu'à la même seconde où sa femme l'a photographié devant un koré du Parthénon, elle a du attendre dix-sept minutes afin qu'aucune des deux mille personnes qui prenaient la même photographie ne se trouvent plus dans le champ.

Le touriste parle des touristes comme le service de désinfection parle des rats : Louxor était "infesté" de touristes, qui à la même heure sont en train de dire que Louxor était "infesté" de touristes, qui à la même heure ...
Claude Roy
La fleur du temps
 

Réduit au silence


samedi 28 mars 2020

Ils se contentèrent d'y faire quelques allusions

 Le lendemain de la conférence, la fièvre fit encore un petit bond. Elle passa même dans les journaux, mais sous une forme bénigne, puisqu'ils se contentèrent d'y faire quelques allusions. Le surlendemain, en tout cas, Rieux pouvait lire de petites affiches blanches que la préfecture avait fait rapidement coller dans les coins les plus discrets de la ville. Il était difficile de tirer de cette affiche la preuve que les autorités regardaient la situation en face. Les mesures n'étaient pas draconiennes et l'on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l'opinion publique. L'exorde de l'arrêté annonçait, en effet, que quelques cas d'une fièvre pernicieuse, dont on ne pouvait encore dire si elle était contagieuse, avaient fait leur apparition dans la commune d'Oran. Ces cas n'étaient pas assez caractérisés pour être réellement inquiétants et il n'y avait pas de doute que la population saurait garder son sang-froid. Néanmoins, et dans un esprit de prudence qui pouvait être compris par tout le monde, le préfet prenait quelques mesures préventives. Comprises et appliquées comme elles devaient l'être, ces mesures étaient de nature à arrêter net toute menace d'épidémie. En conséquence, le préfet ne doutait pas un instant que ses administrés n'apportassent  la plus dévouée des collaborations à son effort personnel. L'affiche annonçait ensuite des mesures d'ensemble, parmi lesquelles une dératisation scientifique par injection de gaz toxiques dans les égouts et une surveillance étroite de l'alimentation en eau. Elle recommandait aux habitants la plus extrême propreté et invitait enfin les porteurs de puces à se présenter dans les dispensaires municipaux. D'autre part, les familles devaient obligatoirement déclarer les cas diagnostiqués par le médecin et consentir à l'isolement de leurs malades dans les salles spéciales de l'hôpital. Ces salles étaient d'ailleurs équipées pour soigner les malades dans le minimum de temps et avec le maximum de chances de guérison. Quelques articles supplémentaires soumettaient à la désinfection obligatoire la chambre du malade et le véhicule de transport. Pour le reste, on se bornait à recommander aux proches de se soumettre à une surveillance sanitaire.
Albert Camus
La peste
1947
Merci à Chantal B. pour son envoi

Il a oublié l'été dernier



mardi 24 mars 2020

Rêver de la forme des poires


Quand soudain


Je cherchais un texte de Julio Cortazar qui parlait des ces spectateurs qui , à la fin d'un spectacle, se lèvent pour applaudir la performance des acteurs ou des danseurs ou des musiciens, je ne sais plus et qui applaudissent tellement longtemps qu'il en oublient pourquoi ils frappaient dans leurs mains, mais qui continuent, s'applaudissant d'applaudir.
Et j'ouvrais "Le tour du jour en quatre-vingt mondes" et découvris en bas des pages 282 et 283 ces quatre dessins de Jean-Michel Folon.
Je n'ai pas trouvé ce texte.

dimanche 22 mars 2020

Coconnage


Après vous irez tous seuls

Eric Chevillard- Le Monde- Sine die- Jour 2
On annule. Les réunions, les rendez-vous, les manifestations auxquelles nous devions participer : annulés. Annulée la fête, annulé le mariage. Et contrairement à ce que nous prétendons, la main sur le cœur, nous ne remettons rien à plus tard. Pas de cette hypocrisie dilatoire : on annule ! Tant pis pour la Palme d’or qui devait récompenser le film de ma vie, je viens de me décommander pour Cannes.On annule. Notre agenda est un tissu de prétentions chimériques. Il s’agissait pourtant de béer devant l’orthodontiste, d’accompagner une sortie de classe à l’abbaye de Cîteaux et de négocier un contrat d’exportation de joints de robinetterie avec un distributeur japonais retors. Ce délicieux programme est abandonné. L’avenir ne veut s’encombrer d’aucun projet, d’aucune réjouissance, tous les jours que Dieu fait (« et il en fait, le bougre », constatait Alphonse Allais) seront réservés désormais à la menace et au péril.
Or, l’angoisse qui en résulte ne nous empêche pas d’éprouver aussi cette amère et cependant bien réelle volupté de l’annulation. C’est que tout ce qui doit être vécu, tout ce pour quoi nous prenons date, ces plans patiemment échafaudés, toutes ces perspectives nous perturbent aussi. Du seul fait qu’il est à venir, parce qu’il est inéluctable, parce qu’il va falloir en passer par lui, le moindre événement annoncé nous contrarie comme un sombre présage.
Mais s’il n’est charmante compagnie qui ne se quitte, pourquoi s’infliger, avant la séparation, ces huîtres, ce vin et ces sourires ? Il nous apparaît aujourd’hui que le principe de l’annulation générale et systématique a ses avantages. Nous voilà enfin dispensés de piscine. Nous voilà exemptés du service militaire. Nous voilà réformés et renvoyés dans nos foyers : quel soulagement !
Tel est en effet la forme de cette volupté de l’annulation : le soulagement. Le fardeau des jours à venir nous est ôté des épaules. J’emprunte à Xavier de Maistre son fauteuil, car « c’est un excellent meuble qu’un fauteuil ; il est surtout de la dernière utilité pour tout homme méditatif ». Méditons, donc. Il y a tant de choses que nous aimerions annuler encore si nous le pouvions. Tout annuler peut-être. Si seulement ce principe était rétroactif ! Table rase pour mieux recommencer. Ou pour s’abstenir de commencer quoi que ce soit. Jouir simplement du soulagement, de l’immense soulagement consécutif.
Et maintenant, faites tous comme moi : annulez vos obsèques.
A demain.
Lire la chronique précédente : « Sine die ». Jour 1

Ce parfum qui explose


samedi 21 mars 2020

Des hordes de pangolins enragés se répandent dans les rues en toussant leurs poisons

[L’écrivain Eric Chevillard tiendra pour « Le Monde » la chronique Sine die, le temps que dureront les mesures de restriction des déplacements.]

Coussins, couffins et confitures, ce ne doit pas être aussi terrible que ça, le confinement. Chacun chez soi, mais aux confins du monde. Même le sédentaire se sent dépaysé. Quelle aventure ! Citons Rimbaud, l’exergue de tous nos livres : « Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs./ Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours./ Assez connu. Les arrêts de la vie. – Ô Rumeurs et Visions !/ Départ dans l’affection et le bruit neufs ! » (Départ)
On ne sort plus, quel voyage ! Il y a justement chez moi un couloir que je me promets depuis toujours de longer jusqu’au bout. L’heure est venue de ces expériences. Un bidet encombre la salle de bains, je vais avoir le temps de m’initier à cette pratique ancienne et révolue, retrouver les gestes simples de nos pères. Grimper aux rideaux, avez-vous déjà vraiment essayé ? Et vous cogner la tête contre les murs ? Il y a tant à faire dans une maison.
Dehors, rôde l’horrible virus hérissé d’antennes sensibles qui captent notre présence à plus d’un kilomètre – comme le squale la goutte de sang dans l’immensité de la mer – et de palpes gluants pour se suspendre à nos lèvres, comme un amoureux ardent. Des hordes de pangolins enragés se répandent dans les rues en toussant leurs poisons et, dès que le jour baisse, ce sont les chauves-souris qui fondent sur le passant pour se moucher dans son coude. Nous ne sommes plus en sécurité que chez nous.
Nous claquons la porte. Nous poussons devant elle le buffet du salon. Sur le buffet, nous empilons nos encyclopédies. Sur cette pile, nous asseyons nos enfants. Et, dans les mains de ces porteurs sains, nous déposons des peluches garnies de plomb. Le pavillon « Sam Suffit » est rebaptisé fort Alamo. « Home, sweet home » redevient notre fière devise. Nous la peignons en lettres d’or sur nos écus et les portières de nos automobiles encalminées.
Or, puisque nous avons pris l’habitude d’élire quand l’effroi nous visite un livre qui tout à la fois nous console et nous venge – Paris est une fête, Notre-Dame de Paris –, je suggère cette fois que nous ouvrions tous séance tenante et in situ le Voyage autour de ma chambre que Xavier de Maistre commença en 1790, lorsqu’il fut mis aux arrêts lui aussi : « Le plaisir que l’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune. »
Son voyage dura quarante-deux jours. Combien de jours durera le nôtre ?
A demain.


Seul le piaillement des moineaux


vendredi 20 mars 2020

Lavons nous de la boue


Oh mais c'est encore vous mon cher
Oh mais c'est encore vous mon cher"
Me dit-elle tout à coup
Me dit-elle tout à coup
Oh je me sens de vous prisonnière
Oh je me sens de vous prisonnière
Faites de moi ce que vous
Faites de moi ce que vous
Donnons-nous rendez-vous à la rivière
Donnons-nous rendez-vous à la rivière
Lavons-nous de la boue
Lavons-nous de la boue
Prenez-moi dans vos bras mon cher
Prenez-moi dans vos bras mon cher
Et oublions tout
Et oublions tout
Et tenons-nous debout dans la lumière
Et tenons-nous debout dans la lumière
Soyons prêts à tout
Soyons prêts à tout
Il en va de la vie, de nos mères
Il en va de la vie, de nos pères
Il en va de nous
Il en va de nous
Oh je me sens de vous prisonnière
Oh je me sens de vous prisonnière
Faites de moi ce que vous
Faites de moi ce que vous
Philippe Djian / Stephan Eicher

Confinement, jour 4



jeudi 19 mars 2020

Vos vœux sont exaucés

Mon fils demande : « C’est parce que la planète est fatiguée ? ». Oui, lui dis-je, tu dois avoir raison. Cette pauvre planète est épuisée, elle prend sa revanche, elle nous assigne à résidence. Comment s’empêcher de voir, dans ce qui nous arrive, une certaine ironie ? Celui qui écrit cette pièce à huis clos ne manque pas d’humour. Monde de solitudes, nous voilà esseulés. Monde de virtualité, nous voilà réduits à n’exister, à ne nous parler, à n’interagir qu’à travers des écrans. Monde inhospitalier, nous voilà enfermés. Nous rêvions d’un monde où on pourrait, depuis son canapé, regarder des films, lire des livres, commander à manger. Nous y voilà, ne bougez plus, vos vœux sont exaucés. Il y a dix jours nous scandions « on se lève et on se casse. » Mais il n’y a plus, à présent, nulle part où aller.


Le « Journal du confinement » de Leïla Slimani, jour 1
Le Monde daté du 18 mars 2020

Entre l'huitre et le concombre, une affaire de goût


samedi 7 mars 2020

La futilité des mots


La solitude est pour moi une source de guérison qui rend ma vie digne d'être vécue. Parler est souvent un tourment pour moi, c'est pourquoi j'ai besoin de plusieurs jours de silence pour me remettre de la futilité des mots.
C.G. Jung

La semaine du blanc