samedi 21 mars 2020

Des hordes de pangolins enragés se répandent dans les rues en toussant leurs poisons

[L’écrivain Eric Chevillard tiendra pour « Le Monde » la chronique Sine die, le temps que dureront les mesures de restriction des déplacements.]

Coussins, couffins et confitures, ce ne doit pas être aussi terrible que ça, le confinement. Chacun chez soi, mais aux confins du monde. Même le sédentaire se sent dépaysé. Quelle aventure ! Citons Rimbaud, l’exergue de tous nos livres : « Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs./ Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours./ Assez connu. Les arrêts de la vie. – Ô Rumeurs et Visions !/ Départ dans l’affection et le bruit neufs ! » (Départ)
On ne sort plus, quel voyage ! Il y a justement chez moi un couloir que je me promets depuis toujours de longer jusqu’au bout. L’heure est venue de ces expériences. Un bidet encombre la salle de bains, je vais avoir le temps de m’initier à cette pratique ancienne et révolue, retrouver les gestes simples de nos pères. Grimper aux rideaux, avez-vous déjà vraiment essayé ? Et vous cogner la tête contre les murs ? Il y a tant à faire dans une maison.
Dehors, rôde l’horrible virus hérissé d’antennes sensibles qui captent notre présence à plus d’un kilomètre – comme le squale la goutte de sang dans l’immensité de la mer – et de palpes gluants pour se suspendre à nos lèvres, comme un amoureux ardent. Des hordes de pangolins enragés se répandent dans les rues en toussant leurs poisons et, dès que le jour baisse, ce sont les chauves-souris qui fondent sur le passant pour se moucher dans son coude. Nous ne sommes plus en sécurité que chez nous.
Nous claquons la porte. Nous poussons devant elle le buffet du salon. Sur le buffet, nous empilons nos encyclopédies. Sur cette pile, nous asseyons nos enfants. Et, dans les mains de ces porteurs sains, nous déposons des peluches garnies de plomb. Le pavillon « Sam Suffit » est rebaptisé fort Alamo. « Home, sweet home » redevient notre fière devise. Nous la peignons en lettres d’or sur nos écus et les portières de nos automobiles encalminées.
Or, puisque nous avons pris l’habitude d’élire quand l’effroi nous visite un livre qui tout à la fois nous console et nous venge – Paris est une fête, Notre-Dame de Paris –, je suggère cette fois que nous ouvrions tous séance tenante et in situ le Voyage autour de ma chambre que Xavier de Maistre commença en 1790, lorsqu’il fut mis aux arrêts lui aussi : « Le plaisir que l’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune. »
Son voyage dura quarante-deux jours. Combien de jours durera le nôtre ?
A demain.


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