vendredi 30 décembre 2016

Plat pays


Il y a là la littérature

Il y a là la littérature
Le manque d'élan
L'inertie, le mouvement

Parfois on regarde les choses
Telles qu'elles sont
En se demandant pourquoi
Parfois, on les regarde
Telles qu'elles pourraient être
En se disant pourquoi pas

Il y a là les mystères,
Le silence sous la mer
Qui luttent contre l'temps
Il y là les bordures
Les distances, ton allure
Quand tu marches juste devant
 
Vanessa Paradis / Gaëtan Roussel

jeudi 29 décembre 2016

C’est sans doute cela, aujourd’hui, l’exil le plus terrible

Asli Erdogan | Un autoportrait

Je suis née à Istanbul en 1967. J’ai grandi à la campagne, dans un climat de tension et de violence. Le sentiment d’oppression est profondément enraciné en moi.
L’un de mes souvenirs, c’est à quatre ans et demi, lorsqu’est venu chez nous un camion rempli de soldats en armes. Ma mère pleure. Les soldats emmènent mon père. Ils le relâchent, plusieurs heures après, parce qu’ils recherchaient quelqu’un d’autre. Mon père avait été un dirigeant important du principal syndicat étudiant de gauche. Mes parents ont planté en moi leurs idéaux de gauche, mais ils les ont ensuite abandonnés. Mon père est devenu un homme violent. Aujourd’hui il est nationaliste.
J’étais une enfant très solitaire qui n’allait pas facilement vers les autres. Très jeune j’ai commencé à lire, sans avoir l’intention d’en faire mon métier. Je passais des journées entières dans les livres. La littérature a été mon premier asile. J’ai écrit un poème, et une petite histoire que ma grand-mère a envoyés à une revue d’Istanbul. Mes textes ont été publiés, mais ça ne m’a pas plus du tout : j’étais bien trop timide pour pouvoir me réjouir.
Plusieurs années plus tard, à 22 ans, j’ai écrit ma première nouvelle, qui m’a valu un prix dans un journal. Je n’ai pas voulu que mon texte soit publié. J’étais alors étudiante en physique. Je suis partie faire des recherches sur les particules de haute énergie au Centre Européen de Recherche Nucléaire de Genève. Je préparais mon diplôme le jour et j’écrivais la nuit. Je buvais et je fumais du haschich pour trouver le sommeil. J’étais terriblement malheureuse. En arrivant à Genève, j’avais pensé naïvement que nous allions discuter d’Einstein, de Higgs et de la formation de l’univers. En fait je me suis retrouvée entourée de gens qui étaient uniquement préoccupés par leur carrière. Nous étions tous considérés comme de potentiels prix Nobel, sur lesquels l’industrie misait des millions de dollars. Nous n’étions pas là pour devenir amis. C’est là que j’ai écrit "Le Mandarin miraculeux". Au départ j’ai écrit cette nouvelle pour moi seule, sans l’intention de la faire lire aux autres. Elle a finalement été publiée plusieurs années plus tard.
Je suis retournée en Turquie, où j’ai rencontré Sokuna dans un bar reggae. Il faisait partie de la première vague d’immigrés africains en Turquie. Très rapidement je suis tombée amoureuse de lui.
Ensemble, nous avons vécu tous les problèmes possibles et imaginables. Perquisitions de la police, racisme ordinaire : on se tenait la main dans la rue, les gens nous crachaient dessus, m’insultaient ou essayaient même de nous frapper. La situation des immigrés était alors terrible. La plupart étaient parqués dans un camp, à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Plusieurs fois, j’ai essayé d’alerter le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU sur leur sort. Mais c’était peine perdue. Je ne faisais que nous mettre davantage en danger Sokuna et moi. Puis Sokuna a été impliqué dans une histoire de drogue et il nous a fallu partir. Des amis m’ont trouvé une place dans une équipe de scientifiques au Brésil, qui travaillaient sur ma spécialité. Je pouvais y terminer mon doctorat, mais Sokuna n’a pas pu me suivre. Il a disparu, un an après. Je suis restée seule avec mes remords. Rio n’est pas une ville facile à vivre pour les migrants. J’ai alors décidé de renoncer à la physique pour me consacrer à l’écriture. Mais ce n’est qu’à mon retour en Turquie que j’ai écrit "La Ville dont la cape est rouge", dont l’intrigue se passe à Rio. L’héroïne est une étudiante turque, qui se perd dans l’enfer de la ville brésilienne. J’étais étrangère au Brésil, mais aussi étrangère en Turquie. Je ne me sens chez moi que lorsque j’écris. Vingt ans plus tard, aujourd’hui, je me sens toujours comme une sans-abri.
J’aime bien Cracovie, je pourrais y rester encore longtemps, mais je sais bien qu’il faut laisser la place à ceux qui attendent un asile. Il faudra bien que je retourne en Turquie. En attendant, chaque jour, je me dis que dans mon pays tout le monde sait bien que je suis devenue l’écrivaine turque la plus populaire. Tout le monde le sait, mais pourtant tout le monde se tait. C’est sans doute cela, aujourd’hui, l’exil le plus terrible.

Ce texte a été lu, en septembre 2016, lors d’une émission de France Culture consacrée à Asli Erdogan. Merci à Tieri Briet pour la retranscription : lire son appel à soutenir Asli Erdogan, actuellement emprisonnée par le pouvoir turc.

Accrocher les nuages


Fixer les choses

Il faut que je fixe les choses pour qu'elles existent pour moi, à mes yeux
Pierre Michon
Boomerang / Augustin Trappenard
France Inter

mardi 27 décembre 2016

Une chaise, une malle ou la première pierre venue

Les Russes, par tradition, avant de partir en voyage, s'asseyent quelques secondes sur une chaise, une malle, la première pierre venue. Ils font le vide en eux, s'inquiètent de savoir s'ils ont fermé le gaz, caché le cadavre - que sais-je encore ? Je m'assis donc, manière russkof, le dos contre un oratoire de bois où une Vierge méditait devant le paysage d'Italie. Soudain, je me levai et je partis.
Sur les chemins noirs
Sylvain Tesson
p.20

Un ciel occupé


Sur la route

Je m'accoutumai à vivre sur la route, allant et venant, comme un messager entre la montagne et le plat pays.
Goethe
Cité dans "Petit traité sur l'immensité du monde" Sylvain Tesson
Pocket p.55

mardi 13 décembre 2016

Première fois


Fils errants

Amis nous nous sommes égarés
Nous étions une poignée de bougres à flâner,
le long des faubourgs trop vides
Sur les bancs des dortoirs glacés de la ville
Issus des rangs de la middle- class, du middle- west
Fumeurs de bangs, blancs comme les neiges éternelles de l'Everest
Zombies qui commentent la voûte céleste

Fils de hippies
Fils de centristes
Fils des enfants de mai 68
Fils de l'idéal, du général
Fils errants dans l'ère Mitterrand
Fils de la bière et du néant
Fils de l'idéal, du général

Amis nous nous sommes égarés
Nous étions une poignée de bougres à glaner
Le son des trains de banlieue,
faisait gronder la terre du milieu

Rien ne tangue à part nos langues assoiffées
du vocable des fables rugueuses où les fées enfuies,
abandonnent les hommes au milieu de la nuit

Et puis, nous nous sommes éloignés
Dans le temps, nous avons pris bedaine et poignées d'amour
Nos corps oublieux s'affaissaient sur la terre du milieu

Issus des rangs de la middle- class, du middle- west
Fumés par les gangs, méprisés par les ascètes
Assis ont oublié la voûte céleste

Fils de hippies
Fils de centristes
Fils des enfants de mai 68
Fils de l'idéal,du général

Et puis, les avions se sont crashés
Et soudain toute la terre s'est mise à trembler
Mettant à sang et à feu, les deux tours de la terre du milieu


En savoir plus sur http://www.paroles.net/alexis-hk/paroles-fils-de#OMcF5qtmWJJbwW81.99

vendredi 9 décembre 2016

Caractères de chiens


De rien avoir à dire

Certains travaillent par ennui: de même j'écris , parfois de ne rien avoir à dire. Cette rêverie où se perd tout naturellement l'homme qui ne pense pas, je m'y perds par écrit car je sais rêver en prose. Et il est bien des sentiments sincères, bien des émotions légitimes que je tire du fait même que je n'éprouve rien.
Fernando Pessoa
Le livre de l'intranquillité 
p151

lundi 5 décembre 2016

Chercher le regard


Comme on marche sur un miroir


Celui-là passe toute la nuit
A regarder les étoiles
En pensant qu'au bout du monde
Y a quelqu'un qui pense à lui

Et cette petite fille qui joue
Qui ne veut plus jamais sourire
Et qui voit son père partout
Qui s'est construit un empire

Où qu'ils aillent
Ils sont tristes à la fête
Où qu'ils aillent
Ils sont seuls dans leur tête

Qui a volé leur histoire
Qui a volé leur mémoire
Qui a piétiné leur vie
Comme on marche sur un miroir

Celui-là voudra des bombes
Celui-là comptera les jours
En alignant des bâtons
Comme les barreaux d'une prison

Où qu'ils aillent
Ils sont tristes à la fête
Où qu'ils aillent
Ils sont seuls dans leur tête

Je veux chanter pour ceux
Qui sont loin de chez eux
Et qui ont dans leurs yeux
Quelque chose qui fait mal

Je veux chanter pour ceux
Qu'on oublie peu à peu
Et qui gardent au fond d'eux
Quelque chose qui fait mal
Qui fait mal

Quand je pense à eux
Ça fait mal ça fait mal
Quand je pense à eux
Ça fait mal ça fait mal

Michel Berger

mercredi 30 novembre 2016

Reboucher un trou de mémoire

Je me demande où va le temps qui passe.
Je me demande s’il est possible de reboucher un trou de mémoire.
Je me demande si demain j’aurai encore quelque chose à me demander.
Je me demande comment je n’y ai pas pensé plus tôt.
Je me demande si une idée ne vient pas de m’effleurer l’esprit.
Je me demande pourquoi je me pose toutes ces questions.
Je me demande ce que les autres se demandent.

(Pierre Barachant, Je me demande, éditions l’Atelier du Hanneton, 2005 *).
Source : Lichen revue de poésie

Un veilleur à Grenoble


jeudi 24 novembre 2016

Manger du blanc



On essaie de faire des pulls avec dix ficelles

Artiste

Nous naissons tous fous avec une vie pour guérir
Tant qu'une belle vérité reste à conquérir
Trouver l'idée qui marche deux cent ans
L’impression de le faire en plaisantant
Accueillis comme des clowns pas drôles
A la profonde parole des puits de pétrole
Avant que la fortune soit subite
Tous les génies étaient stupides
Couver le feu dans la glace qu'on s'y réunisse;
Des fois; excusez nous la réussite
Ceux qui n’aiment pas n’ont qu’à le faire d’abord
Allez mettre plus de dix personnes d’accord

Artiste c'est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Pour trouver ce truc qui nous la rend si belle
Artiste c'est pas difficile

On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Trouver cette chose qui nous la rend si belle
Il faut plus que des qualités
Pour modestement changer l'Humanité
Devenir la première personne des singuliers
Se passe rarement de façon régulière
Et de l’œuvre, comment chiffrer la valeur
Lors qu’à table le succès devient l'avaleur?
Le suspense des prochains loyers
Peut causer des problème de loyauté
Artiste être droit dans ses bottes
Être des trois sur dix milles, et garder ses potes
Pouvoir rebondir en abondance
En gardant votre sourire et puis tant qu’on danse

Artiste c'est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Pour trouver ce truc qui nous la rend si belle
Artiste c'est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel

Trouver cette chose qui nous la rend si belle
Exister grâce à quelques fans
Pas de milliers d’amis ni de centaines de femmes
Une vie de famille acrobatique
Artiste, c'est pour ça qu'elle t'aime et puis te quitte
La peur d'être archivé parce qu’on fait moins bien
Appartenir au passé d'un succès lointain
Y mettre toute son âme et si c'est nul
Comprenez que les critiques soient malvenues
Le temps guette, les nouveaux arrivent
Tant de poissons vont s’y ronger la griffe

Artiste c'est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Pour trouver ce truc qui nous la rend si belle
Artiste c'est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Trouver cette chose qui nous la rend si belle

Abdoulaye Diarra • © Warner/Chappell Music, Inc

lundi 21 novembre 2016

Un après midi au musée


L'algèbre des mélancolies

Confessions d'un Never Been

Les joyeux éboueurs des âmes délabrées
Se vautrent dans l'algèbre des mélancolies
Traînant leurs métastases de rêve karchérisé
Entre les draps poisseux des siècles d'insomnie
Ça sent la vieille guenille et l'épicier cafard
Dans ce chagrin des glandes qu'on appelle l'Amour
Où les noirs funambules du vieux cirque barbare
Se pissent dans le froc en riant de leurs tours

J'ai volé mon âme à un clown
Un cloclo mécanique du rock'n'roll cartoon
J'ai volé mon âme à un clown
Un clone au coeur de cône du rêve baby baboon
J'ai volé mon âme à un clown

Je rêve d'être flambé au dessus du Vésuve
Et me défonce au gaz échappé d'un diesel
À la manufacture métaphysique d'effluves
Où mes synapses explosent en millions d'étincelles
Reflets de flammes en fleurs dans les yeux du cheval
Que j'embrasse à Turin pour en faire un complice
Ivre de prolixine et d'acide cortical
Je dégaine mon walter PPK de service

J'ai volé mon âme à un clown
Un cloclo mécanique du rock'n'roll cartoon
J'ai volé mon âme à un clown
Un clone au coeur de cône du rêve baby baboon
J'ai volé mon âme à un clown

Bien vibré, bien relax en un tempo laid back
Rasta lunaire baisant la main d'Oméga Queen
Je crache dans ma tête les vapeurs d'ammoniaque
D'un sturm und drang sans fin, au bout du never-been
Fac-similé d'amour et de tranquillisants
Dans la clarté chimique de ma nuit carcérale
Je suis l'évêque étrusque, un lycanthrope errant
Qui patrouille dans le gel obscur de mon mental

J'ai volé mon âme à un clown
Un cloclo mécanique du rock'n'roll cartoon
J'ai volé mon âme à un clown
Un clone au coeur de cône du rêve baby baboon
J'ai volé mon âme à un clown.

vendredi 18 novembre 2016

Laisser une trace


Et range ton arme, ton caillou

AVANT QUE JE M'ENNUIE
Chérie si tu veux que ça bouge
Si tu veux que ça m'émeut
Si tu veux que nous,
On refasse du feu
Si tu as envie
Et Si tu veux que je moi aussi

Chérie si tu cherches moi
Si tu veux de l'appui
Si tu veux du poids
Si tu veux que la nuit
Je me mets sur toi
Oui si tu veux qu'avec toi je crie

Avant que je m'ennuie
Avant que je m'enfuie
Avant que je m'enfuie

Chérie sors de ton trou
Montre-moi ta flamme,


Oui montre-moi tout
Si t' es une femme montre-moi dessous
Montre-moi tes charmes, jusqu'au bout

Oh oui donne-moi ton goût
Moi que tu affames
Donne-moi ton cou
Si tu veux que je brame
Mets-toi à genoux
Et range ton arme, ton caillou

Avant que je m'ennuie
Avant que je m'enfuie
Avant que je m'enfuie

Avant que je m'ennuie
Avant que je m'enfuie
Avant que je m'enfuie

Mathieu Boogaerts

jeudi 17 novembre 2016

Mitoyens


Quelle autre solution que se dissoudre

FAITES VENIR
 
Dans ma cornue
J'y ai versé
Six gouttes de ciguë
Un peu d'espoir
Ça  d'épaisseur
Et j'ai touillé
Du fond de ma boutique
Monte un cantique
Un hymne à l'amour aurifère
Ébullition
Réaction
Faites monter l'arsenic
Faites monter le mercure
Faites monter l'aventure
Au-dessus de la ceinture
Et les pépites
Jetez les aux ordures
Dans ma cornue
J'y ai versé
Une pincée d'orgueil
Mal placé
Un peu de gâchis
En souvenir de ton corps
Dans ma cornue
J'y ai coulé
Une poignée d'orages
Dans ma cornue
J'y suis tombé
Quelle autre solution
Que de se dissoudre
Faites monter l'arsenic
Faites monter le mercure
Faites monter l'aventure
Au-dessus de la ceinture
Et les pépites
Jetez les aux ordures
Dans les faubourgs
Je décante
Le soir à la lune montante
Au matinée reprends connaissance
Ébullition
Réaction
Faites monter l'adrénaline
Faites monter le mercure
Faites monter l'aventure
Au-dessus de la ceinture
Et les pépites
Jetez les aux ordures
Faites monter
Faites monter
Faites monter l'adrénaline
Faites monter le mercure
Faites monter l'aventure
Au-dessus de la ceinture
Faites monter
Faites monter
 Alain Bashung, Ludovic Bource, Jean Marie Fauque 

dimanche 13 novembre 2016

La saison des trains électriques


La solitude solitaire

Je ne prétends pas qu'avec un enfant on soit moins seule... Au contraire ! Quand une femme a mis un enfant au monde, qu'il soit tout petit, ou qu'il soit " devenu grand", elle entre dans une autre solitude terrible. Une solitude faite de jubilation et d'inquiétude. Il n' y a pas de mots pour ça ! Un mélange de bonheur et de détresse. Une fierté immense, idiote. Un sentiment de fragilité des êtres. Un souci qui peut la rendre folle et dont elle ne parle pas. Tout en sachant que les autres mères ont ça aussi dans le ventre. Les femmes qui n'ont pas eu d'enfant ne connaissent que la solitude solitaire. La même que les hommes. Pas cette solitude terrible des mères.
Pierre Péju
La diagonale du vide