lundi 9 décembre 2019

Sans qu'on l'emmerde à chaque coin de rue




Quand il est né, c’était pour lui, comme sans doute pour tous les bébés, une sorte d’effarement : trop de bruit, trop de lumière, trop de froid, de mains qui vous touchent, vous retournent, trop de regards qui vous scrutent, trop de contacts, d’attouchements avec des matières inconnues, froides, chaudes, métalliques, douces, rugueuses, irritantes, protectrices…
Rien de très original au fond. Rien d’autre que ce saut irrémédiable que nous faisons tous en naissant.
Mais ensuite, l’effarement était resté. Il ne comprenait rien à tout ça. Pourquoi tant de bruits, de fureur, de précipitation ? Pour quoi faire ? Pour aller où ? Vers quoi ? Vers qui ?
Alors que tous les autres enfants se construisaient petit à petit une raison, écoutaient les explications de leurs parents, de leurs éducateurs, sans sourciller, lui continuait d’avoir les sourcils qui remontaient jusqu’au milieu du front, et les yeux grands ouverts d’interrogation ou d’émerveillement, c’était selon…
Ça faisait mauvais genre cet air égaré, cette façon de flotter sans réponse, cet air éberlué au milieu d’un monde qui sait quelle règle respecter pour tourner correctement.
Alors, recouvrir ses sourcils haut perchés d’une gros trait noir lui avait permis de s’abriter. C’était un bon alibi que ce maquillage, un bon paravent que ce nez rouge et ce grimage de clown. Ce fut le moyen de cheminer avec ses questions sans qu’on l’emmerde à chaque coin de rue pour lui expliquer comment marcher droit.
Grâce à ça, il a pu prendre les chemins de traverse, les impasses, les zigzags, les traces qui ne mènent nulle part, les empreintes qui l’emmenaient à la rencontre de quelque cadeau...

Béatrice

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