dimanche 30 octobre 2022

Je regarde le paysage sur lequel donne la fenêtre de ma chambre, et qui est bien ce j'ai le plus souvent regardé au monde

 (...) Je regarde le colline du Mesnil, la courbe de la Loire, la muraille verte des peupliers de l'île, derrière laquelle monte les cumulus cotonneux de ce premier après-midi d'octobre. Il ne m'en vient pas de tranquilité, ni même le sentiment rassurant d'une permanence, mais plutôt le malaise soucieux qui nous gagne devant un massif d'arbres marqués pour la coupe, une bâtisse familière qu'on va démolir ; la Terre a perdu sa solidité et son assise, cette colline aujourd'hui, on peut la raser à volonté, ce fleuve l'assécher, ces nuages les dissoudre. Le moment approche où l'homme n'aura plus en face de lui que lui même, et plus qu'un monde entièrement refait de sa main à son idée - et je doute qu'à ce moment il puisse se reposer pour jouir de son œuvre, et juger que cette œuvre était bonne.

 

Julien Gracq
Nœuds de vie
Éditions José Corti
4ème de couverture
Merci à Olivier Martinaud pour le partage

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