dimanche 26 mars 2023

Écouter les bruits d'un jardin

Quelque chose dans les événements semble chercher en nous ce qu'il y a de plus précieux pour le réduire, l'organiser, le faire passer de l'intime au monnayable. Ce temps qu'on veut nous prendre pour équilibrer des comptes, satisfaire des créanciers, rassurer les marchés et complaire à l'ego d'un homme qui se sent d'autant plus juste qu'il a raison contre tous, ce temps-là, c'est celui du dimanche et de la pluie, des bals et des guinguettes, des mélancolies vaines, des chansons tristes, des enfants endormis sur nos genoux, des couples qui se tiennent la main, le temps du cours de l'eau et des passants qu'on regarde depuis la terrasse d'un café, le temps passable où peut-être nous n'avons plus rien à faire, que respirer et écouter les bruits d'un jardin. Ce temps n'est pas seulement celui de la retraite ou des loisirs. Il est le moment de la vacance, temps suspendu où soudain nous levons le nez du guidon, ému, soudain conscient de ce qui passe, de ce qui reste, temps du passé simple, de l'imparfait, du futur antérieur, conjugaisons de la profondeur, de la fugacité et des permanences, paresse profonde qui fait germer ces pensées auxquelles la performance fait constamment la chasse, et qui sont comme de petites voix sombres : écoute, tu n'as pas l'éternité pour toi, il te faut vivre et aimer tout de suite, ne te laisse pas dépouiller de ta maigre durée, ne deviens pas cette pure machine occupée à la richesse des autres. Cabre-toi. Il n'y a pas d'après. Aucun calcul ne justifie que tu cèdes encore sur l'essentiel. Oppose ton désir à la cadence. Désespère la volonté qui courbe ton dos. Sois sûr qu'un lit t'attend tout au bout et que tu y seras seul pour faire le décompte de ta joie. Ne laisse pas l'ogre des ordres d'ensemble et des grandeurs générales te convaincre de céder une autre seconde que tu aurais pu consacrer au libre exercice de ta force. Ne te rends pas. Tu as trop donné de ta vie déjà.
Nicolas Mathieu

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